La France a célébré Clovis, son premier roi catholique. Ici, le roi des Burgondes Gondebaud fut apprécié des évêques mais évita de se convertir. Son fils Sigismond, en revanche, créa en Valais en 515, le grand monastère de Saint- Maurice d'Agaune. Justin Favrod continue à répondre ici aux questions inspirées par sa thèse brillante, l'"histoire politique du Royaume Burgonde".
LNQ : Hier, dans notre premier entretien sur le royaume burgonde, Justin Favrod, vous décriviez le déplacement des Burgondes en 443, sur ordre des Romains, des bords du Rhin à nos régions. Où donc s'est établi ce peuple germanique, soldats nourris par la population gallo-romaine ?
Justin Favrod : Le nom donné par les Romains au pays que les Burgondes ont mission de garder est Sapaudia. Quelle Savoie ? Il s'agit sans doute de trois "citées". Une citée romaine, c'est une agglomération et le territoire qui dépend d'elle. Les citées en question furent Avenches, Nyon et Genève. Le territoire concerné, c'est donc la région alémanique, avec la Haute Savoie et le Plateau suisse. Mais pour des raisons militaires, la majorité des Burgondes, au début, s'est massée au bord du Léman, comme les trouvailles archéologiques l'attestent.
NLQ : Plusieurs rois pouvaient ils régner simultanément chez les Burgondes ?
JF : Mon hypothèse, c'est qu'on pratiquait un système assez répandu dans l'Antiquité. Une génération règne, et il faut attendre son extinction pour que la génération suivante prenne le pouvoir. Si deux frères sont rois, il faut attendre la mort de l'un et de l'autre pour que les enfants accèdent au pouvoir. Chez les Francs, en revanche, à la mort d'un roi, tous ses enfants deviennent rois.
NLQ : Où résidaient les rois burgondes ?
JF : Il y eut deux capitales simultanées, Genève, premier centre urbain où ils aient pris pied, et plus tard Lyon, la plus grande ville des Gaules.
NLQ : Quelle fut la plus grande étendue du Royaume burgonde ?
JF : La ville d'Avignon au sud, Langres au nord, le Valais à l'est, Nevers à l'ouest.
NLQ : Lorsque disparut Aetius, qui avait été le représentant de Rome au nord des Alpes, il semble que le pouvoir impérial s'effaça de nos régions. Faut il comprendre que les Burgondes, peuple fédéré, et même manipulé par l'empire, se sont dès lors retrouvés à la tête d'un Etat autonome?
JF : Les peuples germaniques concevaient les alliances comme des liens d'homme à homme, de famille à famille, jamais d'Etat à Etat. A la mort d'Aetius, les Burgondes s'estimèrent libres. C'est un tournant historique. Avec l'aide des Gallo-Romains, ces provinciaux parmi lesquels ils vivent, les Burgondes étendent dès lors leur royaume. Les rois burgondes n'avaient été que des chefs militaires. Maintenant, insensiblement, la population qui croyait encore dépendre de Rome se découvre sujette des rois burgondes.
NLQ : L'analyse minutieuse de ce glissement institutionnel rend la lecture de votre thèse particulièrement fascinante. La population au nord des alpes prend conscience que son socle politique, l'Empire Romain, s'est volatilisé, que le pouvoir impérial, n'est plus que la lointaine Bysance. Ce fut l'heure de s'inventer des institutions propres ?
JF : Cette progression, en deux générations, on la voit dans les textes, tels ceux de Sidoine Apollinaire, fin du V eme siècle et d'Avit de Vienne, début du VI eme. Le premier s'exprime comme un sujet de l'Empire, le deuxième comme un sujet des Burgondes. Personne ne peut dire à quel moment précis on a passé d'un régime à l'autre. C'est dans la tête des gens que le bouleversement a pris du temps.
NLQ : Mais n'assiste-t-on pas à la naissance d'un nouveau système juridique au nord des alpes, le code du roi Gontebaud, la fameuse loi Gombette ?
JF : Le roi burgonde a produit cette chose sans précédent de la part d'un barbare : une législation applicable à ceux qui se considéraient encore comme des sujets romains. Ce fut le premier ensemble juridique conçu au nord des Alpes, mais nourri d'une tradition romaine. Gondebaud avait évidemment recouru à des juristes romains, mais qui connaissaient les murs burgondes. Ils ont bricolé un document synthétique. Certains articles s'adressent spécifiquement aux Gallo-Romains. On sent là aussi une évolution lente. Dans les lettres d'Avit, celui-ci écrit tantôt en respectueuse soumission, au nom du roi burgonde Sigismond, à leur souverain nominal, l'empereur de Constantinople, tantôt il parle du même souverain en le qualifiant d'empereur des grecs".
NLQ : A leur arrivée, les rois burgondes pratiquaient la religion arienne, hérésie qui ne reconnaissait pas la pleine divinité du Christ. Quels furent les rapports avec les gallo-romains christianisés ?
JF : Les évêques, qui appartenaient à la noblesse gallo-romaine, se réjouissaient à la perspective de convertir des hérétiques. C'était le must de l'époque. Aussi voit on des ces ecclésiastiques faire la cour à aux rois burgondes. Ceux ci par une tradition qui leur était venue de Bysance par les Goths, avaient leurs propres saints et martyrs, et surtout ils pratiquaient leur culte en leur propre langue. Ils appartenaient donc à une hérésie chrétienne tandis que les Alamans, eux étaient des païens.
NLQ : La conversion du roi burgonde Sigismond au catholicisme n'eut elle pas des conséquences désastreuses ?
JF : Gontebaud, tout romanisé qu'il fût, avait eu la prudence de rester fidèle à l'arianisme. Sigismond, devenu catholique, suscita en Italie la colère du puissant roi des Goths qui était son parent, Théodoric le Grand. C'était le champion des ariens il se devait de réagir.
La conversion de Sigismond avait eu un caractère politique. Le 22septembre515, il institua en Valais, au lieu dit Agaune, aujourd'hui Saint Maurice, un monastère gigantesque pour l'époque. Il y fit venir des moines de tout le royaume, sans doute plusieurs centaines, vivant dans d'autres établissements. Il emprunta à l'Orient la pratique de la louange perpétuelle. Neuf groupes de moines chantaient jour et nuits la louange de Dieu et rappelait le souvenir de Saint Maurice au lieu de son martyre. Un burgonde fut placé à la tête du monastère, appel évident à la conversion de tous les autres.
NLQ : Pourquoi les affaires du roi Sigismond ont elles mal tourné ?
JF : Il eut beau être un saint, il tua son fils peu de temps après la fondation du monastère, l'accusant de compléter contre lui. Or ce garçon était par ailleurs le petit fils de Théodoric. Le roi des Goths eut une raison de plus pour partir en guerre contre le roi burgonde. Or il se trouve qu'au même moment les Francs, pour de toute autre raisons, attaquèrent les Burgondes. Cette conjonction de deux ennemis scella la perte de Sigismond. Clodomir, le fils de Clovis s'empara de lui alors qu'il tentait de se réfugier à Saint Maurice, l'emmena prisonnier à Orléans et le mit à mort, en 524, en le noyant dans un puits.
NLQ : Ce fut a fin du royaume burgonde ?
JF : Non il tint encore dix ans. Jusqu'à la conquête du royaume par les Francs, le frère cadet de Sigismond, Godomar resta à sa tête. Cet Etat, relativement petit, dut toujours s'appuyer sur plus fort que lui. Il négocia sans cesse..
NLQ : En restant arien, Gontebaud fut au fond un roi plus sage, politiquement, que Sigismond ?
JF : Gontebaud a toujours fait croire à ses amis évêques qu'il était sur le point de se convertir. Telle fut son habileté. Son fils Sigismond, le roi catholique fut livré à l'ennemi par sa garde personnelle. Il y a gros à parier qu'il y avait parmi ses proches des ariens troublés ou fâchés par sa conversion. Après la fondation de Saint Maurice, il semble donc que Sigismond ait été lâché par son entourage burgonde.
NLQ : Que dire de Clovis dont la France a commémoré cet automne le baptême, en le célébrant comme son premier roi chrétien ?
Ce roi franc a été amené au catholicisme par sa femme qui, disons-le en passant, était une burgonde, Clotilde. Son avantage politique, c'est qu'avant sa conversion il n'était pas hérétique mais païen. Il n'y avait pas un parti du paganisme parmi les autres peuples germaniques d'Occident pour le combattre.
Propos recueillis par BERTIL GALLAND
"Histoire politique du royaume burgonde, 443, 534" est une thèse d'histoire que Justin Favrod a soutenue à l'Université de Lausanne, sous la direction du professeur Pierre Ducrey. Elle sera publiée au printemps 1997 par la Bibliothèque historique vaudoise (Grand Chêne 8, 1002 Lausanne)
Le nouveau quotidien de Lausanne. 10 octobre 1996.